Texte Homélie BLP 17 juillet 2014

Messe pour Sophie Morinière

Notre vie est un chemin d’Emmaüs, sans cesse recommencé.

Votre vie, chers amis, depuis un an, est pour chacun de vous, particulièrement pour vous chers parents de Sophie, avec Juliette, Paul et Matthieu, comme cette route d’Emmaüs, en ses différentes étapes.

Comme pour les deux disciples, tant d’images, de paroles, de questions, de pourquoi, ont habité votre coeur depuis ce séisme du 17 juillet.

Car mettre au monde un enfant n’a pas de prix,

Vivre les liens du sang dans l’amour familial n’a pas de prix,

Recevoir une amie n’a pas de prix.

Tout cela, mes amis, a pu sembler être brisé, déchiré.

L’absence cruelle, la souffrance profonde et la tristesse lancinante étaient bien là.

Et pourtant déjà, très vite, sur ce chemin, comme pour les pèlerins d’Emmaüs, vous saviez que vous ne marchiez pas tous seuls.

De nombreuses lumières se sont allumées autour de vous.

Famille de sang et famille professionnelle, amis de Sophie et de ses frères et soeur, souvent reçus en votre maison toujours ouverte et accueillante, vous ont donné des occasions de vivre des rencontres, des moments de solidarité magnifiques, de recevoir des témoignages uniques.

Non, vous ne marchez pas tous seuls.

Et puis la foi, la foi au Christ qui, lui aussi, délicat, humble, souvent discret, est là, vous accompagnant sur la route et nourrissant cette communion entre vous.

Alors, en même temps que votre souffrance, comme une oscillation intérieure, l’espérance forte de la vie éternelle, l’espérance décisive de la Résurrection est redevenue le coeur de votre Foi.

Oui, mort où est ta victoire ? – comme le demande St Paul –

Crois-tu que tu vas gagner ?

Aujourd’hui, comme hier, nous venons te dire que tu as définitivement perdu !

Oui, tu as perdu parce que Sophie aimait,

Parce que Sophie aimait passionnément la vie,

Parce que Sophie aimait les autres,

Parce qu’elle vous aime.

Tu as perdu parce que nous l’aimons.

Oui tu as perdu parce que nous croyons fermement que, dans le Christ, l’amour t’a vaincu à jamais.

Toute l’existence de Sophie rend grâce à la vie et à l’amour, et rend grâce à Dieu.

Toute sa vie fut, dans l’amour et dans la Foi, « trop stylée ».

Avec quelle mesure pourrions-nous compter le prix d’une vie ?

La mesure du temps ? 21 ans ?

Nous serions alors bien démunis.

Non, Sophie est entrée dans le temps de Dieu, où elle demeure éternellement jeune dans la présence de l’amour.

Voilà la lumière qui vient progressivement habiter nos coeurs,

Voilà notre espérance fondée sur les Écritures Saintes et la vie du Christ, notre espérance à jamais.

Alors oui, comme pour les disciples d’Emmaüs, des étapes peuvent être franchies.

La Parole de Dieu, la communion avec Lui et entre vous, sans supprimer la réalité et les cicatrices de la souffrance, peuvent dilater notre coeur et ouvrir, petit à petit, notre esprit et notre âme, à une réalité plus grande, celle de la vraie foi, de l’espérance et de l’amour.

Reste avec nous Seigneur.

« Mane nobiscum, Domine »

Cette demande des disciples à la fin de la route nous assure qu’il nous est possible, à nous aussi, d’expérimenter, en particulier dans l’Eucharistie, que ceux et celles qui sont partis avant nous, nous sont désormais présents d’une manière nouvelle

Même si nous ne sommes pas sensibles à voir des signes partout, nous découvrons que, par le Christ, ils ne sont plus à côté de nous – comme pendant leur vie sur la terre – mais avec nous, plus même, ils sont en nous.

Oui, il y a un lieu en moi, en mon coeur, où je peux les retrouver vivants.

C’est là quelque chose de très fort.

Nos proches qui ont vécu leur Pâque, leur passage, ne sont plus à côté de nous, mais parce qu’en Dieu, ils sont avec nous au plus profond de nous.

C’est très grand. Ce n’est pas étonnant alors que nous puissions expérimenter leur présence à travers certains signes.

N’arrêtons pas cette échappée de nos morts. Ils ont quitté notre champ de vision. C’est un très grand mystère et une douleur très profonde pour nos coeurs mais cela peut nous ouvrir au vrai sens de la vie, à la vérité de la vie, à un gain de vie, et nous donner la confiance et l’espérance dont nous avons besoin.

À quoi servirait finalement la vraie religion si elle ne conduisait pas ainsi au coeur, à l’intérieur de nous-même ?

Bienheureuses les familles, comme la vôtre, qui vivent ces épreuves, ces départs, en sachant que leur enfant, leur soeur, leur amie ne les a pas quitté puisqu’elle est passée à une vie plus profonde, qu’elle n’est plus à côté d’eux mais qu’elle est en eux.

« Et eux de raconter tout ce qui s’était passé en chemin ! »

Mes amis, voici que maintenant, c’est à vous aussi qu’il revient de transformer la douloureuse disparition de Sophie, en une délicate et attentive espérance.

Chacun de vous, chers François, Béatrice, Juliette, Paul et Matthieu, et vous, ses proches et nombreux amis, avez commencé à recevoir ce que Sophie nous laisse et que nous recevions à chaque rencontre sans y prêter autant d’attention.

C’est ici que commence notre histoire commune.

Le magnifique livret que vous avez publié nous aidera grandement à recueillir la beauté de la vie de Sophie et à en être les témoins ;

En ce temps de mission, voulu par le St Père François et à Paris par notre archevêque le Cardinal Vingt-Trois, c’est un incomparable outil de catéchèse que vous nous donnez.

Ce sourire de Sophie continuera à conduire à la joie de l’Évangile.

Et Sophie, nous t’entendons encore en découvrant ce livret qui t’est consacré, t’exclamer :

« Whaaat ? C’est ouf, trop stylé ! »

Parce que nous savons, chère Sophie, que c’est ce que tu aurais voulu. Non pas que nous voulions te canoniser avant l’heure ; tu avais tes zones de combat pour arriver à aimer, à croire, mais ton sourire légendaire devrait-il se vivre désormais sur nos visages avec des larmes ?

Ta gentillesse, ta douceur de coeur, ta simplicité, ton immense sensibilité seraient-elles maintenant des attributs interdits ?

Ton esprit de service, ta générosité, ta bienveillance devraient-ils s’éteindre pour ne pas être relevés ?

Ta joie si dilatée, ta générosité à embellir nos vies et ton optimisme ne pourraient-ils plus toucher nos âmes souvent attristées ?

Ta foi profonde et confiante peut-elle être dans un rayonnage poussiéreux de notre coeur ?

Non bien sûr, mais alors, continue de nous aider ! Oui, aide-nous car ta foi en Dieu semblait si essentielle, si évidente et si rayonnante et attirante, que nous te demandons de nous la transmettre.

Ta foi était dans un même mouvement celle d’une adulte réfléchie et posée, clairement et sereinement exprimée, et celle d’une enfant engagée dans une relation amoureuse avec son Dieu, accueillant le quotidien avec confiance et service, comme la spiritualité de Mère Teresa qui t’avait beaucoup marquée, nous y invite.

C’est vrai, pour nous c’est souvent « complicated mission » !

Alors qu’en cette étape vécue un an après cette déchirure où la brulure ne disparait jamais complètement, nous sentions fleurir l’espérance.

Sinon, comment pourrions-nous entrer dans l’église, chanter Dieu et le prier ?

Ensemble, par le Christ, avec toi, Sophie, nous ne cesserons jamais de croire en la vie.

Pour certains, cette vie, c’est la vie de tous les jours, la vie au travail, en famille, dans la société.

Pour d’autres, comme cela fut pour toi, c’est aussi la vie divine, la vie en Dieu qui nous aime, qui nous ouvre la vie éternelle par son fils Jésus, lui qui a traversé la mort pour la crucifier pour toujours et ne plus jamais lui permettre qu’elle ait le dernier mot.

Ce Christ, au matin de Pâques, est ressuscité d’entre les morts, manifestant que la puissance de l’amour est plus forte que la mort.

Comme sur la route d’Emmaüs, là où l’anéantissement nous plongeait dans le doute, voici qu’une lumière nouvelle s’est vraiment levée, qui vient dilater nos coeurs, dans la mémoire inépuisable de notre vie avec Sophie.

Au milieu de notre monde, de ce monde que Sophie aimait et pour lequel elle trouvait toujours une réalité positive à sauver, nous aussi, nous sommes envoyés.

Ce monde est le lieu de notre épanouissement, où nous apprenons à découvrir l’intérieur de chaque être humain, créature aux ressources toujours insoupçonnées, et à demeurer, dans cette dynamique d’hospitalité permanente qui guidait le coeur de Sophie, pour accueillir aussi bien Dieu dans l’Eucharistie, que ses frères de toutes conditions.

Que l’espérance nous accompagne pour que jamais nous ne cessions d’aimer,

Que le sang de Sophie féconde, non seulement la terre de Guyane mais toutes les terres de nos coeurs arides. Sophie, nous ne voulons cesser de t’entendre nous appeler « à être témoins de l’amour du Christ, en vivant notre vie très simplement ».

« Dieu veut ton bonheur – nous dis-tu toujours – car tu en sais quelque chose maintenant. Donc, fais confiance. Laisse-lui te parler, et te guider et tout ira bien !

Amen !

St Léon, le 17 juillet 2014